Les services publics revendent-ils nos données intimes ?
Oui. Et la plupart du temps, ils ne reçoivent pas d'argent en contrepartie, mais leur rétribution se résume à : l'image d'être « moderne ». Vous allez comprendre…
Comme d'autres parents, ma fille a du faire un stage durant ses études en dehors du département. Pour trouver un logement, nous nous sommes tournés vers le CROUS plutôt que vers le secteur privé. « Simplification » de l'administration oblige, on nous force aujourd'hui à recourir au numérique. Voici le dernier échange que l'on n'imaginerait pas sortir d'un roman d'anticipation…
Bonjour,
Je fais suite à nos échanges de courriels concernant une demande de logement pour ma fille. Finalement, il m'a été impossible de téléverser une copie numérique du document que vous demandiez via votre formulaire. Le format jpeg n'est malheureusement pas reconnu par votre automate alors même qu'il l'impose par ailleurs. Pour information, je forme des étudiants en informatique (oui, je suis enseignant-chercheur en informatique) qui pourraient régler ce problème dans le cadre de leurs études.
Rassurez-vous, comme le stage de ma fille a commencé depuis la semaine dernière, elle a trouvé via une agence tout ce qu'il y a de plus classique, à l'ancienne (par téléphone). 240€ par mois pour un petit appartement. C'est moins cher que certains logements étudiants que vous proposez.
Je vous remercie de vos démarches et je comprends que vous ayez des ordres pour ne pas traiter directement ma demande. Je suis également fonctionnaire et je sais les contraintes pour réduire la qualité du service public. Nous ne pouvons que nous plier au choix politique des électeurs.
Je ne peux que regretter l'époque où j'étais moi même étudiant. La demande de logement CROUS, je la faisais par courrier réel. Le timbre coûtait 2,10 Fr (0,32 €) et tous les documents (l'équivalent de méga-octets) arrivaient le lendemain. Aujourd'hui, le budget télécommunication vient avant les dépenses d’alimentation. En plus, il était possible de signer des documents officiels. Remarquez maintenant, je fais toutes les démarches pour ma fille sans que cela ne se voit. Et quand je signe… non, je veux dire, quand je clique à sa place, personne ne voit la différence. C'est d'ailleurs à cause de cela que nous n'avons donné suite aux propositions d'appartements soit-disant de particulier-à-particulier trouvés sur la toile (et rédigés avec une adresse IP localisée au Niger).
En plus, le courrier papier avait l'énorme avantage d'être issu de carbone biologique (fait à partir des arbres) et son recyclage naturel ne demande que quelques dizaines d'années. Aujourd'hui, l'utilisation de centre de données étasuniens consomme du carbone issu du charbon, voire du nucléaire lorsqu'ils sont situés en France. L'impact sur notre planète se compte en centaine de milliers d'années. Ça je n'ose encore le dire à ma fille. C'est elle qui subira la pollution de l'Internet mis dans les mains des enfants.
En revanche, une chose me gène. Votre site intègre des logiciels espions (un f et un oiseau bleu sur chaque page). Lors de mes tentatives de rédaction de formulaire, ces entreprises étasuniennes ont noté mon adresse IP (donc mon identité réelle) et la page de votre site (une demande de logement). Depuis, je suis inondé de pourriels. Il est bien normal qu'elles gagnent de l'argent en revendant les données privées qu'elles m'ont volé, à des agences de propagande commerciale. Et je n'ai aucun doute que vous ayez eu l'intelligence de demander une rétribution pour votre collaboration à leur enrichissement. Cependant, pourriez-vous leur demander de cesser de m'importuner ? Ou bien de retirer ces logiciels espions de vos pages ? Car en quoi la revente de mes données intimes améliore la qualité de service ?
A vous écrire, je me rends compte de ce que mon métier nous a fait perdre en quelques décennies :
- l'économie (0,32 € pour des méga-octets, en comparaison du budget télécom mensuel)
- la rapidité (je n'ai toujours pas pu déposer de dossier chez vous, lorsqu'il me fallait à coup sûr 24h au siècle dernier)
- la sobriété énergétique (la part de l'Internet dans les gaz à effet de serre n'est plus à démontrer)
- la sûreté (autrefois les faux en écriture laissés des traces)
- la confidentialité (autrefois, le courrier envoyé au service public n'était pas ouvert par les publicitaires)
- mais surtout l'humanité. Il y avait des êtres humains capables de prendre en considération une simple demande concernant un moment important de leur vie.
Je compatis à la situation que vous vivez et que nous vivons tous. J'espère qu'un jour nous pourrons inverser cette tendance et remettre en place de véritables services publics modernes respectueux de la nature et… humains. Mais cela dépend de nous en tant qu'électeurs et des priorités que nous fixons lors d'une élection.
Encore merci et courage. Belle journée à vous.
Et si la lois interdisait la présence de lien vers les réseaux d'exhibition sur tous les documents et sites administratifs ?